Ils partaient au milieu de la nuit. Pour lui, gamin, ils partaient au milieu de la nuit. Pour son père, quatre heures du matin, ça permettait de rouler un bon moment sans endurer la chaleur.
Pour les enfants, chaque été, c’était un nouveau départ, une nouvelle aventure. Pour les parents, c’était un peu un retour – le dixième, le quinzième, le vingtième retour. Et provisoire. Juste pour les vacances. (Et pour la mère, ça n’était pas vraiment des vacances.)
Elle réveillait ses enfants au dernier moment. Le père avait chargé le gros des bagages avant la nuit. Il restait à descendre le «frigo» du pique-nique et les divers petits sacs dont on se promettait toujours de limiter le nombre, mais qui finissaient à tous les coups par proliférer. Les yeux gonflés de sommeil, les deux frères ne s’en chamaillaient pas moins pour savoir qui d’entre eux allait porter la grosse gourde orange ou le sac Kodak jaune et noir. «Chuuut!» disait la mère. Les autres habitants du locatif étaient tous endormis.
Dehors, il faisait frais. La voiture était devant l’entrée du sous-sol. Le père introduisait les sacs dans les derniers espaces vacants. La mère en prenait un ou deux à ses pieds, devant le siège passager. Les enfants se couchaient à l’arrière, les pieds de l’un sur le visage de l’autre. Aussitôt ils sombraient dans un sommeil de chaussettes.
Certains étés, on voyageait en groupe. On «descendait» en famille ou avec des amis. Alors, on se donnait rendez-vous à une encablure de l’autoroute, à Lausanne-Sud ou Lausanne-Ouest. Dans ces cas-là, les enfants restaient éveillés. Leurs têtes dépassaient à peine le panneau de la portière. Leurs yeux mobiles scrutaient les hangars, sautillaient le long des clôtures, des trottoirs et des lignes discontinues, jouaient à s’ouvrir et à se fermer avec les feux jaunes qui clignotaient à tous les carrefours.
Au rendez-vous, le dernier arrivé lançait un appel de phares. On se jetait des sourires en guise de salut. Et puis, on démarrait. Après la sortie de Lausanne-Vennes, on accélérait. Pour le père, c’était le début du voyage. Son fils fermait les yeux et attendait le sommeil.
Parfois, il ne venait qu’à moitié. Ce n’était pas désagréable. Couché sur le côté, l’enfant se concentrait alternativement sur les vibrations, les frottements, les courants qui le traversaient, les balancements, les équilibres sporadiques de son tronc, de ses bras, de ses doigts, sur les lueurs informes, les ombres, les reflets fugaces qui se succédaient sur les vitres et il se sentait emmitouflé dans l’incessant ronron du moteur.
Dans les longs virages, il imprimait à son corps des mouvements contradictoires, il se forçait à des réticences fortuites, à des relâchements soudains et cela provoquait comme des ébauches de syncope, des étourdissements minuscules qui le rapprochaient du sommeil. S’il persistait quand on atteignait les dévers et les courbes qui menaient au Grand Saint-Bernard, le jeu devenait dangereux.
Dehors, la brume était partout. La terre était plus haut. Le ciel était plus bas. On ne savait plus ce qui était quoi.
Une fois, le petit se cogna durement contre la portière : il eut l’impression de s’endormir et de se réveiller simultanément.
(Prochain rendez-vous le 26 avril dans La Cité.)
image: Sandro Santoro
texte: Filippo Zanghì
un énorme saut en arière en lisant ce texte…. que de souvenirs….. de bons souvenirs d’enfance.
Bonne continuation Sandro… et continue de nous faire rêver avec tes rencontres et tes magnifiques photos.
Wow.. ça réveille bien des souvenirs ce texte..
Heureusement le sujet des vomissements en voiture a été (pour le moment?) épargné !
Ce texte est génial, pendant un court instant il m’a emportée loin du quotidien pour m’emmener dans de bons souvenirs! Merci de nous faire partager tous ces beaux moments… Bonne continuation Sandro!
Chouette, ce texte!
Mais aussi réel plaisir de découvrir chaque matin au petit déjeuner vos photos pleines de grandes étendues et de petits détails qui résonnent… un shoot d’Italie et de liberté avant de partir au travail.
Encooooore! Bonne suite…
On m’a parlé de ce site aujourd’hui et je le découvre à l’instant. C’est de toute beauté! Un instant, je me suis retrouvée 30 ans en arrière à partir pour La Calabre! Bon courage pour la suite et merci de nous faire rêver…
Quanti ricordi,,,,,questi viaggi lunghi lunghissimi,ciao maria…
Bonjour Sandro
Quelques souvenirs me revienent avec ce texte,quand je partais également pour l’Italie avec mes parents,mais c’est à la gare de Lausanne avec le train de nuit que tout commençait….
A tout bientôt et continue à suivre ton instinct……
Magnifique texte. Bravo !
Pour moi aussi plein de souvenirs. Ces longs voyages où l’imaginaire se mettait en route. A mesure que l’on s’éloignait de Brigue, la dernière ville grise et morne, on se sentait de moins en moins suisses et un peu plus italiens. Durant la montée du col du Simplon déjà, le père mettait du jazz dans le cassettophone. Dès la Dogana passée, la magie commençait. Les villages traversés de nuit, les panneaux des localités éclairés par les phares jaunes, puis la route s’élargissait et débouchait sur l’autostrada, les stations d’essence, les Autogrills, les camions lents dépassés à peine plus vite, les jeux dans la voiture, les plaques d’immatriculations oranges des voitures italiennes (Rome était la seule écrite en toutes lettres) et enfin, les oliviers et la mer, à perte de vue…
Ce superbe site ramène tout cela de manière très claire et vive… l’Italie !