Ce soir, en prenant le “4” à St-François, je ne m’attendais à rien de spécial.
***
Je monte et m’installe à l’avant du bus, debout, appuyé contre une barre en acier brossé,
à deux pas d’une dame qui parle au chauffeur.
J’entend.
L’accent italien de la dame. Je souris.
L’histoire, qu’elle raconte au chauffeur, de son beau-fils, qui lui a expliqué qu’un de ses collègues a été emmené par une maladie foudroyante en à peine deux semaines.
Lamento bref de la dame, je repense à ma mère en entendant ce son nostalgique et pleureur.
Elle dit venir de Naples.
Mes oreilles s’allument.
« Naaapoliii… alors on est voisins! reprend le chauffeur.
A-t-il vraiment le droit de parler en conduisant? En fait ça ne me dérange pas qu’il parle.
C’est même plutôt agréable.
J’écoute.
La dame précise: “En fait, je suis de Caserta, et vous? ”
-Albanie.
– Ah, je connais, en Calabre, un ami a épousé une albanaise.
– Calabrese, Albanese. Il y a pas mal d’Albanais en Calabre, dit le chauffeur.
– Oui, je crois, dit la dame.
– Il y a une bonne communauté albanaise là-bas. Il y a même des endroits où on parle albanais en Calabre.
Je vois.
Des images comme un écho aux mots du chauffeur. Je pars.
– Je sais pas, dit la dame.
Coup de frein. Le klaxon à une voiture qui fait mine de sortir d’un parking sans prendre garde me ramène dans le bus.
Je suis presque arrivé.
Je sais
et j’interviens dans leur discussion. C’est bon de parler après ce silence.
– Spezzano Albanese! Un village dans lequel on parle albanais, fondé par une communauté qui s’est installé là en fuyant les ottomans.
Ils se taisent, surpris de mon intrusion dans leur dialogue. Je suis gêné.
Deux secondes de silence.
Je repense au 31 mai 2013, à la S.S. N. 19, aux cartes postales envoyées depuis la poste de Spezzano Albanese, à l’homme qui m’a croisé pendant qu’il livrait des pizzas et qui m’a dit de ne pas bouger. Je me souviens de son invitation à m’asseoir à une table de sa pizzeria à deux pas de la poste, du vin bu avec lui et sa mère, de leur histoire d’émigrés à Zürich, de la photo prise avec eux et l’employé de la poste qui a timbré mes cartes et qui cachait son uniforme sous sa veste. Je me souviens, de l’homme qui m’a regardé passer et qui amusé, m’a demandé où j’allais. Je me souviens qu’en quittant le village, j’avais lu l’histoire de Spezzano Albanese inscrite sur une pancarte.
La dame se retourne vers moi.
– Vous êtes Calabrais?
– Oui.
Magnifique !